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2.2. Mécanismes de l’(auto) formation artistique

 

Après avoir placé la formation de l’artiste dans une éducation tout au long de la vie, dans la galaxie de l’autoformation, plus spécifiquement en tant qu’autoformation existentielle, et dans une conception autopoïétique, je voudrais maintenant pénétrer un peu plus dans des mécanismes plus spécifiques de cette autoformation artistique. A la place du mot « pénétrer » je pourrais plutôt utiliser le terme « descendre » vu que les notions de formation directe par autrui semblent déjà surpassées — en effet, c’est un travail plus psychique qui est en jeu.

J’essaierais de révéler dans la suite de cette partie quelques mécanismes qui me semblent essentiels à l’autocréation d’un artiste.

 

2.2.1. Créer

 

Le chapitre qui pose la question : « quel type de formation peut-il y avoir pour un artiste ? » finit sur le concept d’autopoïèse qui n’est autre que l’autocréation et il faudra toucher de plus près à ce que création en soi veut dire.

« Action de donner l’existence, de tirer du néant. »[1]

La définition semble simple et la création peut être approchée de plusieurs manières : à partir de la philosophie ou de la psychanalyse ou encore — et c’est la manière la plus éclairante selon moi — c’est en créant que l’on peut mieux définir le sens de « créer ». Cette dernière manière de définition, même si c’est la plus « vraie », se heurte à une difficulté : soit l’on crée, soit l’on explique[2]. C’est la raison pour laquelle le débroussaillage des sens de la création est surtout réservé aux théoriciens, et non pas aux artistes eux-mêmes[3]. Donc c’est sur eux que je vais m’appuyer ici, ma propre expérience de création m’aidant toutefois à choisir les idées qui me semblent en accord avec ce que je perçois, mais que dont n’arrive pas à verbaliser.

Passer en revue les approches philosophiques de l’art et de la création serait le sujet d’une thèse et on ne toucherait toujours pas au problème en profondeur — on a le Beau, la Vérité, l’esthétique, le génie, l’imagination, la mimèsis, l’intelligible et le sensible, le phénoménologique, l’existentiel, etc., mais on se heurterait encore à l’indicible et au mystérieux. Jean Lacoste introduit son livre « La philosophie de l’art » avec une « traditionnelle méfiance des philosophes envers l’art et les artistes » pour continuer en disant que « l’intensité des expériences esthétiques singulières et la simplicité de l’acte créateur réclament, dit-on, le silence et le secret : faiblesse ou privilège, l’art est irréductible au langage et aux concepts. » (1981, p. 3). Donc, dès le début il y a une discordance à cause de l’outil : le verbe ou son absence.

Même si les philosophes se préoccupent plus des fonctions de l’art que de la création elle-même, que dit la philosophie de l’acte de créer ? Deleuze, dans ses cours « Sur la peinture [4]» donnés à l’Université de Paris 8 en 1981, parle d’un chaos initial et d’une catastrophe dans l’acte de peindre ; c’est vrai surtout pour l’acte pré-pictural où tout cela prend le nom de chaos-germe duquel doit sortir quelque chose… Le philosophe est soumis au ravissement devant l’acte créateur — il est plus près du produit fini — l’œuvre d’art – que du sujet qui crée ou de la création en soi. C’est une science secrète[5], c’est le corps plus que la raison, parce que l’artiste « pense en peinture. » (Merleau-Ponty, 1964, p. 60) Du moment que cette création qui charme le philosophe échappe à sa raison, du moment qu’il ne peut pas la percer, mais seulement réfléchir sur elle de façon poétique (et poïétique aussi – en créant), la parole est davantage du ressort de la psychanalyse qui a une approche différente, plus ancrée dans le réel méconnu du psychisme. Il ne s’agit pas de la méthode psychothérapeutique, mais de la méthode d’investigation qui cherche la « mise en évidence de la signification inconsciente des paroles, des actions, des productions imaginaires (rêves, fantasmes, délires) d’un sujet » (Laplanche, Pontalis, 1967, p. 351) et des « processus mentaux à peu près inaccessibles autrement. » (Freud in Laplanche, Pontalis, 1967,  p. 351)

La psychanalyse n’offre pas une définition similaire à celle du dictionnaire qui expliquerait le « créer » par faire quelque chose de nouveau, inédit, etc. — elle offre surtout une explication du processus, des mécanismes qui étayent la création. La définition proposée par Anzieu fait une petite exception quand même, car elle semble être sortie d’un certain dictionnaire commun : la créativité est courante, peut se cultiver, tandis que la création (création de grand Art) correspond à deux critères : « apporter du nouveau (c’est-à-dire produire quelque chose qui n’a jamais été fait), en voir la valeur tôt ou tard reconnue par le public. » (1981, p. 17). Si prosaïque ! Mais Anzieu compare toutefois le travail créatif avec le rêve ou, plus précisément, avec le travail qui se fait pendant le rêve qui « transforme un contenu latent en contenu manifeste » (1981, p. 19). Contrairement au cheminement de ma recherche, ce travail semble faire le chemin inverse : de l’invisible vers le visible…

Une mise en mots par Sylvie Le Poulichet fait apparaître un concept nouveau : « Créer serait alors : surgir dans l’instant en tant qu’objet inconnu, ce dernier s’assimilant en acte au psychique lui-même, en tant que lieu de captation des forces pulsionnelles. » (1996, p. 9) et, ce concept d’objet inconnu qui est, de toute évidence, interne est l’objet qui est en nous et qui jaillit vers l’extérieur sous la forme d’œuvre d’art est dans les limites du mystère. Ainsi, nous voilà descendu déjà aux étages inférieurs de mon iceberg, dans le sous-sol où Freud a placé l’inconscient et d’où émergent les poussées pulsionnelles. Il apparaît que la création est considérée comme sublimation, qui « évoque à la fois le terme de sublime, employé notamment dans le domaine des beaux-arts pour désigner une production suggérant la grandeur, l’élévation, et le terme de sublimation utilisé en chimie pour désigner le procédé qui fait passer un corps directement de l’état solide à l’état gazeux. » (Laplanche, Pontalis, 1967). Cette définition fait rêver par cette élévation de la matière vers un niveau supérieur, flottant immatériellement dans un espace : élevée depuis l’enfer des pulsions dans un but non sexuel, sortant d’une caverne. Il me semble que, même si beaucoup de psychanalystes ont fait des réflexions (très importantes) sur la création, celle-ci n’apparaît pas comme un terme qui mérite une entrée dans les dictionnaires spécialisés en psychanalyse. De ce fait, on finit en psychanalyse par parler plutôt de ce destin des pulsions — la sublimation — et des processus et mécanismes par lesquels passe la création.

« Et l’on ne saurait comprendre l’élaboration du concept de sublimation dans le domaine psychanalytique si l’on oublie à quel point Freud aimait à fréquenter les plus grands chefs-d’œuvre de l’humanité, allant jusqu’à estimer que l’intensité de leurs effets était proportionnelle au désemparement de l’intelligence (“Le Moïse de Michel-Ange”, 1914). » (Kaufmann, 1993, p. 399) Ceci me semble important : si Freud lui-même se sent désemparé intelligemment devant l’œuvre d’art, que peut-on dire de l’artiste lui-même, le producteur, le sublimateur ? Il est, dans une plus grande mesure encore, au-delà de l’intelligible. Sur ce point, les opinions convergent, c’est ainsi que de M’Uzan affirme que « l’investigation psychanalytique ne peut pas toucher l’essence même de la sublimation artistique ; que les problèmes du don, du talent, du génie, etc., échappent à notre discipline, comme selon moi à toute autre, fût-ce celle de l’esthétique classique. » (1964, p. 3)

La création reste presque impossible à explorer : Freud c’est heurté à la difficulté de conceptualiser clairement les mécanismes de la sublimation et c’est une notion qui « occupe une position paradoxale : jamais totalement définie par Freud du point de vue métapsychologique, elle est cependant indispensable à l’édifice théorique… » et « … c’est d’un concept organisateur qu’il s’agit, au même titre que celui de pulsion, autour duquel gravitent les questionnements de tendresse et d’amitié, les liens sociaux, l’activité professionnelle, les réalisations artistiques, littéraires, scientifiques, techniques, sportives, etc., et le plaisir qu’enfants et adultes prennent à affronter les énigmes et à tenter de les résoudre, le plaisir de pensée. » (de Mijolla-Mellor, 2009, pp. 69-70) Sophie de Mijolla-Mellor nous met même en garde contre une confusion qui arrive souvent entre sublimation et créativité, car celle-ci destine les pulsions vers le savoir et « le plaisir qu’enfants et adultes prennent à affronter les énigmes et à tenter de les résoudre, le plaisir de pensée » (2009, p. 70). La confusion est maintenue aussi par le fait que le mot « sublimation » est entré dans le langage courant et, pour un artiste, sublimer peut dire tout simplement « créer ».

Comme tout travail, le processus créatif suit des temps, des phases aisément ordonnées et qui peuvent aller d’une simple gestation de l’idée à la réalisation physique et à la séparation entre l’artiste et l’objet créé. Anzieu désigne la création comme une forme de travail psychique — avec le deuil et le rêve — les trois considérées comme des phases de crise —, « une régression à des ressources inemployées qu’il ne faut pas se contenter d’entrevoir, mais dont il reste à se saisir et c’est la fabrication hâtive d’un nouvel équilibre, ou c’est le dépassement créateur, ou, si la régression ne trouve que du vide, c’est le risque d’une décompensation, d’un retrait de la vie, d’un refuge dans la maladie, voire d’un consentement à la mort, psychique ou physique. » (1981, p. 19).

Voilà, la création est un destin de ces pulsions, destin qui n’est pas seulement dirigé vers la création artistique, mais aussi vers le savoir. C’est un peu contradictoire vu que la création artistique n’est toujours pas explicable en tant que connaissance scientifique[6], prouvée — le savoir étant (en apparence) directement lié à la connaissance. Je reviendrai plus loin sur d’autres aspects de la sublimation qui sont reliés davantage à un aspect négatif de la sublimation qu’à une approché poétique d’une élévation de la pulsion dans un but non-sexuel. Si la sublimation relève d’une mutation, une « désexualisation », elle « est effectuée par le biais d’une identification » (Fenichel in Identification, 1978, pp. 138-139) — parce qu’il y a « changement de but ». (Idem)

 

2.2.3. Se créer une identité

 

 

« En Grèce, donc, l’état de disciple ne signifiait pas, comme dans la civilisation patriarcale, la pure et simple acquisition d’une certaine discipline et la possession d’un certain savoir matériel, mais la formation d’une personnalité, qui débute par l’identification au maître et est alors conduite jusqu’à son point de perfection “artistique” selon la voie propre du disciple. » (Rank, 1998, p. 67)

 

« Qui suis-je ? » — c’est la question que l’humain s’est posée depuis qu’il a une conscience. L’artiste se pose cette question pour plusieurs raisons, car pour lui son « je » est à la fois la marque, le Trade-mark et l’empreinte de son œuvre. On reconnaît un Chagall même dans une œuvre qu’on n’aurait pas vu auparavant : c’est son trait qui est sa signature. Sa signature n’est pas seulement le nom inscrit en lettres au coin droit du tableau — c’est son identité.

Le petit enfant ne sait pas qu’il « existe », même quand il est placé devant un miroir — il prend conscience de son « soi » en identifiant d’abord sa mère qui le tient dans les bras. Il comprend qu’il a un « lui », un « soi », un « je ». On comprend aisément que l’enfant est en plein développement et qu’il a besoin d’à peu près tout pour pouvoir se former en un être complet — et qu’il a surtout besoin d’un autre ; j’entends ici le besoin d’un référent extérieur, maternant, œdipiant, etc. Lorsque l’on admet l’idée que l’adulte est déjà « construit » et que sa personnalité est plus ou moins figée, il ne peut plus y avoir de place pour une croissance. Il ne s’agit pas seulement ici de la maturation du Moi, il s’agit d’abord de la création de soi, puis de la maturation d’un moi-créateur.

Dans la formation artistique, cette partie qui est constituée des miroirs, des références, de l’admiration et l’imitation du maître ou de l’œuvre déjà inscrite dans l’histoire de l’art et de l’humanité en tant qu’exemple à suivre est fondamentale. C’est la formation à la fois par les pairs et par les spectres ; à travers des personnages qui ne sont plus là, mais qui continuent à enseigner. Rodin[7], Dali[8] et mon interviewé, Hernan Cueva,[9] parlent de cette admiration envers les anciens, envers ceux qui (nous, les) ont marqués. À titre d’exemple, un jeune aspirant artiste admire son professeur (ou un grand artiste/référent historique – professeur indirect, formateur toujours) et veut être comme lui. Ou il/elle découvre Dali, veut être comme lui et commence à peindre comme lui et même à adopter certains de ses comportements, style de vie, idées, etc. C’est comme les enfants qui disent qu’ils veulent être comme quelqu’un quand ils seront grands.

L’identification quand elle est primaire est un « mode primitif de constitution du sujet sur le modèle de l’autre » (Laplanche, Pontalis, 1967, p. 192). Évidemment, ici, lorsqu’on parle de la constitution d’un sujet, on dépasse l’identification du petit « comme première relation à sa mère, avant que la différentiation de l’ego et de l’alter ego ne soit solidement établie. » (Idem) — le sujet créateur ou celui qui est en train de le devenir est un individu adulte, formé psychiquement. Cependant pour qu’il devienne créateur à part entière, il devrait d’une certaine manière passer de nouveau par quelques étapes. Il ne s’agit plus de la mère, de l’Œdipe et de la préhistoire personnelle, mais on pourrait parler quand même de apparition d’une figure qui fait office de tout cela. C’est le premier enseignant qui permet l’éclosion d’un soi ou ce sont les œuvres de quelqu’un ayant vécu quelques siècles auparavant.

Dans mon expérience personnelle, le concept de l’identification correspond essentiellement à l’identification (acte d’admiration) au « cher maître » parce que « Créer requiert, comme première condition, une filiation symbolique à un créateur reconnu. » (Anzieu, 1981, p. 16).

J’ai eu la possibilité de visiter les grandes expositions rétrospectives de Cy Towmbly et d’Anselm Kiefer et ma réaction immédiate a été de « je veux peindre comme eux !!! », mais je veux penser que je suis arrivée à une certaine maturité qui m’empêche de développer (copier) un style semblable à celui de Towmbly ou de Kiefer : je suis devenue un peu plus libre dans mon œuvre (comme le démontre ma dernière série). Et peut-être il ne s’agit tout simplement que d’un sentiment de liberté sur la toile ? Mais c’est Towmbly qui m’a autorisé d’une certaine manière de me permettre certaines choses dans mes tableaux. Et Kieffer m’a donné plus de matière et même son absence — le vide. Il me semble que ça ressemble à ce que dit Bion : « l’identification projective ne peut exister sans sa réciproque, à savoir une activité introjective destinée à produire une accumulation de bons objets internes. » (p. 49) et en ce moment, ces deux artistes que j’admire m’ont offert de l’information à digérer, des objets à intégrer, mais sans que je disparaisse en eux. Ce que je comprends c’est que l’identification est indispensable, mais qu’il faut pouvoir arriver à dire « Je veux être moi-même » comme le héros de Julien Green, que Mélanie Klein analyse ; être soi-même après s’être nourri de l’autre.

L’identification psychanalytique, de point de vue étymologique, fait penser à l’identité, à la formation de celle-ci : « Grâce à quel miroir est-il devenu ce qu’il est ? »[10], mais il y a toujours une sorte de danger à se perdre dans le miroir.

 

« “Certaines fois, l’envahissement de notre Moi par des fantasmes d’identification inconscients représente une aide transitoire dans les passages périlleux de notre existence, une halte bénéfique autorisant l’élaboration de solutions qui nous soient plus personnelles. Pour quelques sujets, au contraire, leur installation quasi permanente a la signification d’un renoncement et d’un abandon d’identité, condamnant ceux qu’ils hantent à survivre — et parfois mourir — au nom d’un autre.” Entre ces deux possibilités, dont l’une est comme le plâtre pendant le temps de la fracture, qui permet d’effectuer une soudure, et l’autre l’aliénation définitive où le sujet, toute sa vie, passe à côté de lui-même. » (De Mijolla, 1975, p. 427 in Caïn, 1978, p. 19)

 

Dans notre cas d’(auto) formation artistique, l’identification n’est pas tout à fait fantasmatique (pas complètement) : l’identification se fait à un objet/sujet réel. Si j’utilise très librement les concepts d’identification projective « où le sujet introduit sa propre personne (his self) en totalité ou en partie à l’intérieur de l’objet pour lui nuire, le posséder et le contrôler. »[11] (Laplanche, Pontalis, p. 192), je pourrai résumer les deux destins que présente De Mijolla : on se sert et on se nourrit de cet objet (ou sujet) ou on disparaît en lui. Heureux l’artiste qui fait école, qui établit un style – malheureux celui qui fait partie de cette école : on ne pourra jamais le différentier. Caravage est le grand maître qu’on reconnaît de loin, mais les caravagistes, membres de cette école : « Caractérisé [e] par la prédominance de scènes aux puissants contrastes de lumière et d’ombre transcendées par la maîtrise virtuose du clair-obscur, il se constitue autour du style du Caravage »[12] sont des parfaits inconnus définitivement aliénés et qui ont abandonné leur identité en prenant celle du maître. Rares ont été ceux qui ont pu développer ce style, ont appris le maximum de lui et ont pu créer du nouveau. 

À titre d’exemple, dans la figure ci-dessous on voit un tableau de Caravage à gauche[13] et un tableau de Georges de la Tour à droite[14] - de la Tour avait 17 ans quand Caravage est mort et, même si l’on voit clairement et manifestement l’admiration et l’identification au maître italien, il a réussi à introduire « sa propre personne (his self) en totalité ou en partie à l’intérieur de l’objet pour lui nuire, le posséder et le contrôler. » (Laplanche, Pontalis, p. 192). Nuire, non, mais il a du contrôler, posséder le clair-obscur afin de le faire sien. Oui, à la fin, les deux artistes sont marqués par le contraste extrême, mais Georges de la Tour a réussi à apprivoiser l’objet externe et ici l’identification a dépassé son stade primaire. Le principe de base est le même : de très forts contrastes entre lumière et ombre, la dernière ayant une place plus importante. L’apport et la touche personnelle de Georges de la Tour est la source de lumière clairement identifiable : une bougie, tandis que chez Caravage cette source est inconnue et semble plus naturelle.

 

J’ai utilisé « apprivoiser », mais à la fin, pour l’artiste il s’agit de se nourrir, d’ingurgiter, de digérer et de prendre tous les nutriments nécessaires à la croissance — cette analogie avec le fonctionnement du corps est métaphoriquement juste. C’est une idée dévoratrice celle de l’assimilation physique de l’objet qui fournira les nutriments. Anzieu dit que l’identification projective est « aspiration de croissance » (1996, p. 236) : « Et N. Abraham et M. Torok de préciser : “On introjecte non l’objet, mais les stimulations qu’il a engendrées”, et de conclure : “L’incorporation correspond à un fantasme et l’introjection à un processus.” C’est donc la capacité d’être stimulé par l’excitation pulsionnelle qui est introjectée. » (Idem). Ainsi il ne s’agit pas seulement de devenir comme un autre (reflet direct comme dans un miroir) : on se découvre à soi-même à travers un autre et/ou à travers une surface réfléchissante. Cet autre n’est pas à copier ou à assimiler tel quel, — copier mais élaborer.

Se créer une identité n’est pas seulement prendre un autre comme exemple, il faut aussi œuvrer avec soi-même. La phrase célèbre de Rimbaud[15] « Car Je est un autre » dont on connaît peu la suite : « La première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière ; il cherche son âme, il l’inspecte, il la tente, l’apprend. Dès qu’il la sait, il doit la cultiver… » devient une vraie (auto) formation tout au long de la vie : il faut essayer de se connaître soi-même comme si ce soi était un autre.

Merleau-Ponty qui oscille entre le visible et l’invisible de la manière la plus obscure qui soit, réunit, me semble-t-il, les deux options en une seule : « de cet autre que moi qui est le moi réfléchi pour moi-même qui réfléchis. »  (1964 (b), p. 257) C’est comme s’il y avait un dédoublement d’un « moi » qui se regarde soi-même ! Est-ce l’autoportrait que fait l’artiste peintre ? Ou est-ce l’exercice de l’autoréflexion pensante ? C’est un mouvement tel que le décrit Jullien « comme automouvement, est de se développer en s’opposant à soi pour se retrouver soi-même » (2004, p. 121).

L’identité de quelqu’un est d’être soi-même[16]. Locke dit que l’identité résiste au temps et à la comparaison. « Mais, au moment d’en venir à l’identité personnelle que Locke ne confond pas avec celle d’un homme, c’est à la réflexion instantanée qu’il assigne la “mêmeté avec soi-même” » (Ricœur, 1990, p. 151). Est-ce que le mot réflexion souligné par Ricœur lui-même signifie le fait de réfléchir (penser) ou de se réfléchir (se refléter sur une surface qui renvoie l’image) ? D’une part, il faut bien voir son reflet dans le miroir qui est l’autre. De l’autre, il faut faire un travail de réflexion/raisonnement sur ce reflet.

Ceci pour dire que le mot « réflexion » est primordial : en tant qu’acte de pensée et de réfraction, reflet qui renvoie une image identique et autre en même temps. C’est la distance, à la fois physique (miroir) et mentale (analyse de soi).

Le praticien réflexif s’interroge sur sa pratique et par là il continue à se former. Mais que fait un artiste devant le miroir ? Pense-t-il à son travail qu’il est justement en train de faire ou pense-t-il à soi-même vu qu’il s’observe (son reflet) avec toute l’attention ? Il fait les deux choses en même temps et là, littéralement, il se crée en créant. Il est sujet de sa propre création et il se crée à soi même en se réfléchissant dans le miroir d’abord, puis dans son propre regard. Merleau-Ponty dit que « la réflexion n’est pas identification à soi (pensée de voir ou de sentir), mais non-différence avec soi = identification silencieuse ou aveugle. » (1964, p. 257). Silencieuse, oui. Aveugle ? Dans les profondeurs de l’âme il n’y a pas de différence avec soi, mais en même temps il y a parce que le résultat est en toi, peintre peignant le peintre en se peignant.

Je n’ai pas fait d’autoportrait depuis très longtemps, mais c’est toujours « la main touchante par la main touchée » (Merleau-Ponty, 1964, p. 257)… On projette ? On s’identifie ? On se voit en se voyant et en même temps en créant – non pas à partir du néant comme se veut la création dans les dictionnaires, mais à partir d’un soi-même que l’on connait à priori, mais que l’on découvre toujours. On travaille pour la création de sa propre identité en s’utilisant soi-même à travers un miroir, pas seulement à l’aide d’un autre en tant que miroir. Il y a toujours dans la conception de l’identification, une auto-identification, une sorte de recherche à l’intérieur du moi, que ce soit au moyen d’un miroir métaphorique ou à travers de sa propre rétine.

 

 

2.2.4. L’expérience

 

« 1. Fait d’acquérir, volontairement ou non, ou de développer la connaissance des êtres et des choses par leur pratique et par une confrontation plus ou moins longue de soi avec le monde.

2. Résultat de cette acquisition ; ensemble des connaissances concrètes acquises par l’usage et le contact avec la réalité de la vie, et prêtes à être mises en pratique

3. PHILOS. Connaissance acquise soit par les sens, soit par l’intelligence, soit par les deux, et s’opposant à la connaissance innée impliquée par la nature de l’esprit ».[17]

« L’enseignement transmet la connaissance et l’expérience à un individu à partir de ton propre être, à partir de ton vécu. Et l’apprentissage c’est plutôt faciliter des processus où l’étudiant va trouver des réponses et construit des connaissances à travers l’expérience. À travers sa propre expérience, à travers son propre ressenti. »[18]

 

L’artiste ne se forme pas seulement grâce à un miroir réfléchissant, mais aussi grâce à la réflexion sur les événements, actions et choses qui l’entourent — c’est l’expérience qui n’est pas étrangère à la formation en général en tant que forme d’acquisition de connaissances. Ayant situé déjà la formation de l’artiste dans l’éducation tout au long de la vie, l’expérience, avec son pouvoir formateur, trouve sa place ici naturellement : elle est un pivot dans la formation des adultes. Pour l’artiste, pour qui la pratique prime sur la théorie, l’expérience de travail est essentielle.

J’entends les mots « expérience » dans deux sens, assez opposés. Les deux sens s’opposent dans le temps. Donc, j’ai opéré une sorte de mesure temporelle dans la compréhension du sens. Une expérience serait une pratique de longue durée d’un savoir ou d’une activité (j’ai beaucoup d’expérience dans la peinture à l’huile, un savoir-faire, mais je fais des expériences avec de la poudre à canon et du feu). Et puis, l’expérience est aussi entendue comme un essai à un moment donné. C’est la temporalité de l’après-coup, de la pensée consécutive, comme un processus autoformatif.

L’expérience, qu’elle soit vécue, subie, recherchée ou accidentelle, qu’on s’en rende compte d’elle ou non, pas identifiable ou rationalisable — a un pouvoir formateur (Verrier, 2006) et peut aussi bien fonctionner en arrière-plan, comme automatisée. C’est surtout vrai pour l’expérience de l’après-coup, l’à postériori réfléchissant :

 

« Cet endroit où l’expérience forme l’individu bien qu’elle ne soit pas réfléchie est assez opaque, difficilement saisissable, et on peut penser qu’il existe plusieurs niveaux de réflexion sur l’expérience. Le réfléchir (action de la réflexion : retour de la pensée sur elle-même en vue d’examiner plus au fond une idée, une situation, un problème, cf. Petit Robert) s’exerce sans doute à divers degrés de précision. Sur le modèle des conscient/préconscient/inconscient, il y aurait une triade réflexivité / préréflexivité / non-réflexivité, mais le stade de la non-réflexivité ne serait pas inopérant. Ce serait le stade de la pensée diffuse, flottante, inorganisée, en jachère, l’expérience ne serait pas prise en compte frontalement par l’esprit sur le plan réflexif. » (Verrier, 2006, p. 75)

 

La préréflexivité serait le début, mais il s’agit aussi d’aboutir vers quelque chose de plus concret — vers la réflexivité qui fait prendre des distances avec l’expérience et commencer une analyse de la même... Tout comme l’image que renvoie un miroir pendant que le peintre réalise son autoportrait, l’expérience doit devenir un moment d’attention parce qu’elle est « un vecteur de différentiation et d’identité » (Mayen, Mayeux, 2003, p. 3) — chaque expérience est unique tout comme celui qui la fait ou la subit. Pour qu’elle soit formatrice, l’expérience doit être réfléchie, mais l’expérience qui échappe à la réflexion est un élément tout aussi important dans la construction d’un sujet. Parmi les mécanismes spécifiques à l’autoformation artistique, je ne voudrais pas m’attarder sur le stade de la réflexivité ou de la préréflexivité de l’expérience, mais plus sur le « diffus, flottant et inorganisé » de Verrier (2006) et les sources de l’expérience.

En restant dans la logique de l’autocréation, il faudra aller vers les racines de l’expérience. Plus précisément, il faudra analyser où, quand et comment cette expérience commence à fonctionner pour devenir un « ensemble des connaissances concrètes acquises par l’usage et le contact avec la réalité de la vie ».[19] Car « ce processus par lequel l’artiste se forme lui-même et réalise sa propre éducation est étroitement lié à sa vie et à ses expériences » qui, « dans un perpétuel mouvement d’échange, produit de la même façon et l’œuvre d’art et l’expérience » (Rank, 1998, p. 56). Pourtant, si l’on insiste toujours sur le mystère de la création, que fait-il que l’expérience puisse être un terrain fructifère et où, « riche de toute son expérience, l’artiste se tient seulement à l’abri de la vie réelle qui signifie pour lui déclin et mort, tandis que l’expérience à laquelle il a donné forme s’impose à lui comme une création qu’il cherche, effectivement, à convertir en œuvre. » (Rank, 1998, p. 56). Le réel n’est pas seulement le tangible quotidien qui nous montre jour après jour le cycle de la vie. L’expérience en tant que combustible pour la création (de soi et de l’œuvre, toujours) est à rendre « utilisable/utile » — il s’agit donc d’un mécanisme de développement de la pensée qui permettrait de produire de l’expérience un apprentissage.

Le nouveau-né et le petit enfant font l’expérience du monde qui les entoure avant d’en tirer des apprentissages. A ce stade où tout est senti et perçu, l’apprentissage n’est pas conscient, même s’il laisse des traces indélébiles. Je ne vais pas me pencher sur les expériences qui deviennent des choses ou des apprentissages pour la vie : le chaud brule, le chat finit par griffer et l’approche de maman est synonyme de nourriture et réconfort. J’aimerais bien me rapprocher un peu des sources de l’expérience qui, selon Bion, sont les « expériences émotionnelles qui sont directement liées aux théories de la connaissance » (1979, p. 9) et d’un autre type d’expériences essentielles pour Bion parce que « la personnalité se nourrit des données de l’expérience sensorielle et émotionnelle ; elle “croît”, elle “profite”, dans la mesure où elle parvient à assimiler ces données. L’incapacité de tirer profit de l’expérience émotionnelle provoque dans la psyché une détérioration comparable au dépérissement provoqué dans l’organisme par une privation de nourriture. » (Robert, préface Bion, 1979, p. 3). Pour moi, le fait d’accentuer un type d’apprentissage vital basé sur les sensations et les émotions est très parlant : dans mon récit de formation, je trouve qu’une lune ou une brise senties et admirées il y a très longtemps on eu un impact dans ma construction personnelle.

 

« L’apprentissage par l’expérience suppose que la fonction-alpha puisse opérer sur la prise de conscience (awareness) de l’expérience émotionnelle ; les éléments-alpha sont produits à partir des impressions de l’expérience ; celles-ci peuvent alors être emmagasinées et mises à la disposition des pensées de rêve et de la pensée vigile inconsciente. L’enfant vivant l’expérience émotionnelle que l’on appelle apprendre à marcher est capable, grâce à la fonction-alpha, d’emmagasiner cette expérience. Les pensées qui, à l’origine, devaient être conscientes deviennent inconscientes ; (…)  La fonction-alpha est indispensable à la pensée et au raisonnement conscients, puis à la relégation de la pensée dans l’inconscient quand il devient nécessaire de décharger la conscience du fardeau de pensée que représente tout apprentissage. » (Bion, 1979, pp. 26-27)

 

Suis-je comme cet enfant qui a emmagasiné cette expérience presque extatique et l’a rendue inconsciente, mais opérante en même temps ? « La fonction-alpha permet aux données des sens d’être appréhendées comme telles (attention), et enregistrées[20] (notation), principalement sous la forme d’images visuelles. Elle convertit les impressions des sens en éléments mnésiques (éléments-alpha) susceptibles d’être “emmagasinés” pour être ensuite utilisés (…) » (Robert, préface Bion, 1979, p. 3). La fonction-alpha, dont le nom n’est pas chargé de sens (Bion, 1979, p. 21) est une fonction en charge de l’élaboration des perceptions de l’expérience émotionnelle « avant de pouvoir être utilisées dans les pensées de rêve » (idem, p. 24) ; elle semble être la base du fonctionnement cognitif tel qu’il est décrit par les scientifiques : une connaissance (expérience) bien connue (si bien qu’elle finit par être reléguée à un niveau inconscient) est appliquée en mode automatique. D’une part, pour l’artiste peintre il s’agit de l’automatisation des connaissances pratiques qui ne demandent plus aucune activité visible de la pensée : les règles et les procédés techniques pour la réalisation de l’œuvre se font comme la nage ou comme aller en bicyclette (marcher aussi, comme le dit Bion). Mais je crois aussi qu’il s’agit de n’importe quel type d’expérience qui est accumulée et qui travaille invisiblement ; cette expérience travaille justement à la manière du rêve : incongrument. Et, sans ces éléments-alpha qui transforment, élaborent et puis cachent cette expérience émotionnelle, le sujet ne rêve plus…

Bion a forgé sa théorie de la connaissance en se basant sur deux fonctions : alpha et bêta. Qu’en est-il de la fonction bêta ? À la différence des éléments-alpha, les éléments-bêta (ce sont toujours des éléments mnésiques) ne sont pas digérés et « ne sont pas ressentis comme des phénomènes,[21] mais comme des choses en soi[22] » (Bion, 1979, p. 24). La « chose en soi », tout aussi superficiellement, est quelque chose d’intangible, qui échappe à l’expérience… Création pure ? L’élément-bêta n’est pas digéré ni mis « à la disposition de la pensée » (Bion, 1979, p. 25) — il existe.

 

« J’attribue à un échec de la fonction-alpha l’apparition des éléments-bêta, les objets bizarres qui y sont étroitement liés et les troubles graves généralement associés à un envahissement excessif par les éléments psychotiques de la personnalité. » (Bion, p.73)

 

Le diagnostic est terrible : la chose bizarre est pathologique. Mais l’artiste que je suis demande : est-ce que tout ce qui est beau, bon, une vie en rose, sert à l’apprentissage et à la création de soi ? Ce « soi » est-il parfait sans aucune « chose bizarre » (ou « en soi ») ? L’objet bizarre est-il l’objet inconnu dont parle Le Poulichet ? Cet objet inconnu ressemble à un élément-bêta : « Créer serait alors : surgir dans l’instant en tant qu’objet inconnu, ce dernier s’assimilant en acte au psychique lui-même, en tant que lieu de captation des forces pulsionnelles. » (1996, p. 9)

Le trouble mental n’est certes pas une chose amusante, mais l’existence d’une certaine vulnérabilité de l’être créateur a été mise en évidence (Lowenfeld, 1937, Lubart, 2003). La question serait : comment gère-t-on la présence de la partie bêta en parallèle avec la partie alpha ? Comme la meilleure vision est la binoculaire — elle permet la perception de la troisième dimension, je crois que les fonctions alpha et bêta sont comme « le conscient et l’inconscient, qui sont produits simultanément, fonctionnent comme s’ils étaient binoculaires et capables par conséquent d’être mis en corrélation, de se refléter l’un l’autre. » (Bion, p. 72)

            Les éléments-bêta, des choses en soi et « objets qui ne peuvent être connus de l’homme »[23] me font penser à un autre type d’expérience : l’expérience muette  de Merleau-Ponty et l’expérience intérieure de Bataille. Loin de fonctions qui s’apparentent au langage mathématique, c’est l’expérience toujours présente, celle de l’indicible, de l’invisible et celle des sensations…

Je situe ce type d’expérience dans le « stade de la non-réflexivité [qui] ne serait pas inopérant. Ce serait le stade de la pensée diffuse, flottante, inorganisée, en jachère, l’expérience ne serait pas prise en compte frontalement par l’esprit sur le plan réflexif. » (Verrier, 2006, p. 75) On pourrait simplifier en disant que dans ce cas on ne pense plus — on sent.

Ainsi, on peut ranger dans l’expérience intérieure, comme Bataille « les états d’extase, de ravissement »  - et j’ajouterais volontiers l’expérience créative dans son côté mystique. « L’expression de l’expérience intérieure doit de quelque façon répondre à son mouvement, ne peut être une sèche traduction verbale, exécutable en ordre. » (1943, p. 18) Donc, on est là bien dans une catégorie qui dépasse le verbal et où le vécu prend une place particulière. « Il faut vivre l’expérience, elle n’est pas accessible aisément et même, considérée du dehors par l’intelligence, il y faudrait voir une somme d’opérations distinctes, les unes intellectuelles, d’autres esthétiques, d’autres, enfin morales, et tout le problème à reprendre. Ce n’est que du dedans, vécue jusqu’à la transe, qu’elle apparait unissant ce que la pensée discursive doit séparer." ... « L’expérience atteint pour finir la fusion de l’objet et du sujet, étant comme sujet non-savoir, comme objet l’inconnu » (Bataille, 1943, p. 21). Dans mon expérience, cet exercice de rendre discursive mon expérience-vécu opère une sorte de clivage entre cette expérience de créer et d’analyser l’acte. D’abord, les deux ne peuvent pas coexister. Cette impossibilité marque la frontière entre le verbal qui est cartésien et le créateur qui est… imprécis et obscur.

 

[1]Le Grand Robert, article sur la création.

[2] Réflexion faite à partir du cycle de conférences à Paris 8 de Deleuze où il se demande : « Mais qu’est-ce que c’est peindre ? Qu’est-ce que c’est l’acte de peindre ? ». Il n’a pas de réponse mais il élabore quand même une sorte de théorie de la création où l’acte de peindre sort d’une catastrophe… Ma question, après avoir écouté et lu Deleuze et d’autres philosophes ou psychanalystes ayant écrit sur la création artistique, a été la suivante : pourquoi ce n’est pas l’artiste lui-même qui théorise sur ce sujet qu’il connaît mieux que quiconque car il le vit ? Est-ce qu’il est celui qui ne peut pas parler ? Qu’est-ce que cela veut dire « avant d'être celui qui parle » ? C’est l’enfant, l’être en détresse, dépendant et pour qui l'adulte présuppose et traduit, en attribuant un sens. Tout comme le philosophe traduit l'artiste.  L'artiste est muet comme l'infans.

(Texte intégral en annexe 2)

[3]On a vu qu’il a beaucoup d’artistes qui ont « philosophé » autour de ça, mais c’est loin d’être la règle.

[4] Enregistrement audio de ces cours sur : https://www.youtube.com/watch?v=vfRClbNdIFs

[5]« Quelle est donc cette science secrète qu’il a ou qu’il cherche ? » (Merleau-Ponty, L’œil  et l’esprit, p. 15)

[6] Comme la gravité, par exemple : on sait ce que c’est et son existence est prouvée scientifiquement; ou que 2 + 2 font 4… Les connaissances que l’on peut avoir sur la création, en revanche, ne révèlent pas des vérités objectives. Enfin, pour moi, la science et  les mathématiques ont un niveau d’abstraction assez élevé qui fait douter fortement de ces « vérités ». Une connaissance objective réelle : on doit respirer, boire et manger pour vivre.

[7] « Aimez dévotement les maîtres qui vous précédèrent. (…) L’admiration est un vin généreux pour les nobles esprits. Gardez-vous cependant d’imiter vos ainés. » (p. 175) Auguste Rodin, Faire avec ses mains ce que l’on voit

[8] « Commencez par dessiner et par peindre comme les anciens maîtres, après cela faites comme vous l’entendez — vous serez toujours respectés. » (11 mai 1953)

[9] « …parce que la meilleure autorité c'est ce qu'on disait : l'admiration de l'autre » H. C.  C. 24

[10] Jacques Caïn, préface du livre L’identification ; l’autre c’est moi, Tchou, 1978

[11]Jouannais relate une histoire très intéressante : il y a plus de sept décennies, Rauschenberg  (jeune artiste américain à l’époque) rencontre De Kooning (un grand maître déjà) et lui demande un dessin pour qu’il l’efface. Littéralement. « C’est au « père » que Rauschenberg  rend visite » (Jouannais, p. 169) – père qu’il veut détruire pour qu’il puisse exister. Je ne suis pas sûre pourquoi De Kooning ait accepté tout en disant «  Non, je ne vais pas vous faciliter les choses. Ce doit être quelque chose qui me manquera. » (idem). Assassinat avec victime consentante ? Tuer le père pour que le fils puisse exister à part entière ? « Effacer l’image du père revêt dans cette action une subtile ambiguïté puisque l’effacer avec sa permission, c’est en même temps s’effacer devant lui ; où s’  « effacer », au sens propre – imposer un retrait à son propre corps pour laisser passer autrui, par politesse, respect – comme au sens figuré – s’oublier soi-même dans le mouvement mental qu’induit la déférence -, implique la soumission, en tout cas les marques conventionnelles de celle-ci : « Il faut que le virtuose s’efface devant le compositeur » (Berlioz). Ambiguïté du rôle joué par De Kooning : père à tuer ou sponsor contraint. » (idem, p. 170) De Kooning savait : lui aussi avait tué symboliquement un père quelconque. Seulement, Rauschenberg a poussé certaines limites : il a effacé physiquement un dessin en le rendant autre, il a surpassé le symbolique et le métaphorique. La racine n’a pas été perdue, le dessin s’appelle « dessin effacé de De Kooning ».

[12]https://fr.wikipedia.org/wiki/Caravagisme

[13]https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_peintures_du_Caravage#/media/File:Caravaggio_-_David_con_la_testa_di_Golia.jpg

[14]https://fr.wikipedia.org/wiki/Georges_de_La_Tour#/media/File:Georges_de_La_Tour_-_The_Repentant_Magdalen_-_Google_Art_Project.jpg

[15]Lettre de Rimbaud à Paul Demeny - 15 mai 1871, sur https://fr.wikisource.org/wiki/Lettre_de_Rimbaud_%C3%A0_Paul_Demeny_-_15_mai_1871

[16] « Caractère de ce qui demeure identique ou égal à soi-même dans le temps (identité personnelle). » : http://www.cnrtl.fr/definition/identit%C3%A9

[17]http://www.cnrtl.fr/definition/exp%C3%A9rience

[18] Hernan Cueva, entretien annexe 1

[19]http://www.cnrtl.fr/definition/exp%C3%A9rience

[20] Je me pose quand même cette question : peut-il s’agir d’un faux souvenir ou d’un souvenir emmagasiné de telle forme qu’il prend beaucoup plus d’importance qu’il n’avait en réalité ?

[21] « J’utilise le terme de « phénomène » pour désigner ce que Kant appelle les qualités primaires et secondaires » (note de fin de Bion, 1979, p.124)

[22] « Le terme de « chose en soi » désigne, comme chez Kant, les objets qui ne peuvent être connus de l’homme. » (note de fin de Bion, 1979, p.124)

[23] (note de fin de Bion, 1979, p.124)

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